Diplopie mentale : la coexistence de deux consciences

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Diplopie mentale ou la coexistence et l’affrontement de deux consciences chez un même sujet

Par Laurent Vercueil (CHU de Grenoble)

Monsieur T, 55 ans, présente une épilepsie partielle pharmacorésistante, évoluant depuis l’âge adulte, dont de nombreux traits cliniques (sémiologie critique) et EEG (activité intercritique) sont évocateurs d’une origine temporale. Toutefois, en dépit des explorations répétées, et de la durée d’évolution de cette épilepsie apparue vers l’âge de 25 ans, aucune anomalie structurale n’a été mise en évidence au cours des imageries cérébrales pratiquées (incluant une IRM).

Les traitements antiépileptiques ont probablement empêché que l’accident initial (une crise d’allure généralisée tonico-clonique) ne se reproduise, et ont limité vraisemblablement la survenue de crises comportant une rupture de contact, évènement très rare. En revanche, des crises limitées à une symptomatologie subjective, de durée brève, sont rapportées avec une fréquence élevée, apparemment peu sensibles aux différents essais thérapeutiques.

Mr T. a dû interrompre, suite à la première crise, une carrière prometteuse de pilote dans l’armée de l’air, mais a maintenu une activité professionnelle de bon niveau. Il est à présent impliqué dans la vie politique de sa localité, et communique volontiers, au cours de la consultation, son expérience subjective des manifestations critiques : les crises débutent par une sensation de déjà vu-déjà vécu, très brève, parfois mieux définie, selon les termes du patient, par un « déjà rêvé », suivie d’un partage de la conscience en deux champs séparés, simultanés.

Deux consciences coexistent, toutes les deux habitées par un « moi », qui est le même, mais dont le contenu respectif est différent. Les deux consciences semblent s’opposer, puisque chacune prend « le dessus » successivement, et que l’une est identifiée comme « parasite », tandis que l’autre serait l’« authentique ».

Au cours de la consultation, nous convenons d’une représentation schématique de cette séparation brutale du flux de conscience. Initialement apparaît la conscience « parasite » qui impose au sujet le besoin de déplacer un objet de son environnement visuel proche (« comme si je devais ranger quelque chose »).
Simultanément, un deuxième champ de conscience, qui paraît affaibli, au second plan, « immobilise » le sujet en le retenant dans l’exécution de la consigne motrice du premier champ de conscience.

Progressivement, ce second champ se restaure dans sa capacité à intégrer la réalité, et à intervenir sur le comportement. Lorsqu’il devient prééminent, le patient réalise qu’il présente une crise (qu’il nomme une « absence »), et qu’il lui est facile de s’opposer aux incitations de la conscience « parasite ». L’amenuisement progressif de celle-ci vers l’évanouissement, cède la place au retour du flux unitaire de conscience normale. C’est la fin de la crise.


Le terme de « diplopie mentale » a été proposé par Jackson pour décrire le « dédoublement de la conscience » qui peut survenir au cours du « dreamy state ». Il est curieux que, sur le plan de la terminologie, l’« état de rêve » et le dédoublement de la conscience aient fait l’objet d’un rapprochement.
Comme si le rêveur, qui peut être amené à prendre conscience qu’il rêve, et donc, se sachant en train de rêver, expérimente véritablement ce dédoublement de conscience.

De fait, le « dreamy state » incluait, selon Jackson (voir référence 1 pour description complète), outre la sensation épigastrique, l’impression subjective de « déjà vu-déjà vécu » ainsi que des phénomènes de réminiscence autobiographique, dont on sait qu’ils sont particulièrement liés aux crises temporales et peuvent être induits par les stimulations de l’amygdale (45%), de l’hippocampe (37,5%) ou du gyrus para-hippocampique (17,5%) (2).

Il est envisageable que, dans l’entendement de Jackson, comme dans celui du patient rapporté ici, le dédoublement de conscience soit lié à la perception, dans un contexte pathologique, d’une métaconscience, conscience de la conscience, permettant au sujet de s’abstraire du contenu subjectif critique (altération d’origine épileptique du contenu de conscience) en observant, d’un point de vue détaché, son déroulement (conscience de « superviseur »).

Cette deuxième conscience est la conscience « saine », celle qui reprend progressivement le dessus, chez notre patient, et peut commenter la survenue de la crise, y compris de façon « per-critique » , avant de poursuivre son flux continu et unitaire de l’état intercritique.

Références :

(1) Hogan ER et Karibioriboon K. The « dreamy state »: John Hughlings-Jackson’s Ideas of Epilepsy and Consciousness. Am J Psychiatry 2003;160:1740-1747
► Retrouvez l’abstract en ligne

(2) Vignal JP et al. The dreamy state: hallucinations of autobiographic memory evoked by temporal lobe stimulations and seizures. Brain 2007;130:88-99
► Retrouvez l’abstract en ligne

neuroScoop 27-04-2010
 
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